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Trois ans de mesures avec TROPOMI

2021-04-19

Temps de lecture: environ 20 minutes

Avec une population mondiale en constante augmentation et l'accroissement continu de la consommation d'énergie, les effets de l'activité humaine sur l'environnement naturel n'ont jamais été aussi importants. Afin de comprendre et d'atténuer les problèmes qui en résultent, tels que la pollution atmosphérique et le changement climatique, il convient de surveiller attentivement l'ensemble du système terrestre (terre, océans, atmosphère et leurs interactions). De longues séries d'observations au sol et depuis l'espace aident les scientifiques à comprendre les processus physiques et chimiques et à distinguer les contributions naturelles et anthropiques à la qualité de l'air et au changement climatique. C'est dans cette optique que la Commission européenne a développé le programme Copernicus d'observation de la Terre. Il implique le développement et l'exploitation de réseaux de surveillance au sol et depuis l’espace et vise à un accès ouvert à toutes les informations qui en résultent.

L'une des composantes du programme Copernicus consiste en un ensemble de satellites destinés à surveiller différents aspects de notre planète. Cet ensemble de « Sentinelles » est développée par l'Agence spatiale européenne (ESA). En particulier Sentinel-5 Precursor (S-5P) est la première mission de surveillance de la qualité de l'air. Le satellite ne transporte qu'un seul instrument : TROPOMI (pour Tropospheric Monitoring Instrument). Après son lancement en octobre 2017, les scientifiques ont rapidement constaté que la qualité des mesures dépassait les attentes et, au cours des trois dernières années plusieurs résultats spectaculaires ont permis d’améliorer notre compréhension de la composition de l'atmosphère terrestre. Le 18 avril 2021 marque le troisième anniversaire du début de la diffusion opérationnelle des données TROPOMI. Les scientifiques de l'Institut royal d'Aéronomie Spatiale de Belgique (IASB) sont étroitement impliqués dans l'analyse des données et des techniques qui les sous-tendent, ainsi que dans la validation et le contrôle de la qualité des mesures.  Enthousiasmés par les résultats, ils veulent profiter de l'occasion des « Trois ans de TROPOMI » pour fournir plus d'information sur cette mission satellitaire et partager les résultats les plus intéressants.

La mission Sentinel-5 Precursor

Des rapports récents de l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont révélé que la pollution atmosphérique est à l'origine de plus de 400 000 décès prématurés en Europe et d’environ 7 millions dans le monde. Des efforts soutenus sont entrepris pour étudier et réduire les effets de la pollution atmosphérique et du changement climatique, deux phénomènes étroitement liés. L'objectif est de combiner des modèles informatiques et des observations (au sol et par satellite) dans un système intégré de surveillance de la qualité de l'air et du climat, comme cela se fait en Europe dans le cadre du « Copernicus Atmospheric Monitoring Service » (CAMS) et du « Copernicus Climate Change Service » (C3S) respectivement.

Plusieurs plateformes satellitaires sont prévues pour la surveillance de la composition de l'atmosphère et de la qualité de l'air, comme Metop-SG avec à son bord l’instrument Sentinel-5 (le successeur de Sentinel-5P) et la plateforme géostationnaire Meteosat 3 (MTG) portant l’instrument Sentinel-4. Ces senseurs qui observeront les variations quotidiennes de la composition de l'atmosphère au-dessus de l'Europe ne seront toutefois lancés que dans quelques années.

Heureusement, il a été reconnu qu’une mission était nécessaire pour combler le vide entre l'ancienne génération d’instruments et les nouvelles plateformes à venir. C'est ainsi que le concept d’un précurseur de Sentinel-5 (S-5P) a vu le jour. La mission présente de nombreuses similitudes avec la future Sentinelle 5 (d'où le terme "Précurseur") et a une durée de vie prévue de 7 ans.

La charge utile de S-5P, l'instrument TROPOMI, a été développé par plusieurs instituts de recherche néerlandais, notamment l'Institut météorologique royal des Pays-Bas (KNMI), l'Institut néerlandais de recherche spatiale (SRON) et l'Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique appliquée (TNO). D'une masse totale de 220 kg, il se compose de spectromètres sensibles à un large spectre de couleurs (longueurs d'onde) dans le domaine ultraviolet/visuel et dans le domaine du proche infrarouge. La sensibilité aux longueurs d'onde a été choisie de manière à pouvoir observer un maximum de constituants atmosphériques pertinents pour la qualité de l'air et le climat.

Observer d’en haut

Lorsque l'on parle de « l'air », le principal ingrédient de l'atmosphère terrestre, la plupart des gens savent qu'il se compose essentiellement de composants gazeux, à savoir l'azote (78 %) et l'oxygène (21 %). Pourtant, on peut trouver des traces de centaines d'autres gaz qui, ensemble, constituent le dernier pourcent. C'est notamment grâce à ces gaz présents à l'état de traces que l'effet de serre existe ou que nous sommes protégés des rayonnements UV de grande énergie émis par le soleil, rendant notre planète habitable. En même temps, des changements dans leur abondance peuvent entraîner des phénomènes tels que le réchauffement de la planète (effet de serre renforcé) et la réduction de la qualité de l'air (pollution).

A l’échelle de la Terre, l'atmosphère est une couche mince qui s'étend de la surface jusqu'à environ 100 km d’altitude. Pour déterminer la composition de cette « coquille d'œuf », TROPOMI ne peut pas analyser l'air directement car le satellite circule en orbite autour de la Terre à une altitude d'environ 800 km. Il utilise donc des techniques de mesure à distance (ou de télédétection), basées sur une analyse de la lumière du soleil réfléchie à la surface de la terre et atteignant l’instrument après avoir traversé l'atmosphère. En comparant le spectre lumineux reçu avec des mesures quotidiennes directes du soleil (lumière qui n’a pas traversé l’atmosphère), on peut déduire la composition de l'atmosphère au moment de l’observation. La mesure finale représente la quantité totale de gaz dans la colonne atmosphérique verticale au-dessus du lieu d’observation.

orbits
Figure 1. Exemple de la configuration de vol de S-5P/TROPOMI, et des mesures de
dioxyde d'azote qui en résultent. Le satellite tourne autour du globe au-dessus des
pôles environ 14 fois par jour, observant à chaque fois une bande de 2600 km de large.
La quasi-totalité de l'atmosphère est échantillonnée en 24 heures.

S-5P orbite autour de la Terre croisant l'équateur à 13h30 heure locale lors de ses révolutions successives, qui ont chacune une durée de 100 minutes. Durant cette période de temps, TROPOMI observe une bande de l'atmosphère large de 2600 km. La Terre tournant sous le satellite, chaque nouvelle bande est positionnée précisément à l'ouest de la précédente, ce qui implique que TROPOMI échantillonne l'ensemble de l'atmosphère sur une période de 24 heures (Figure 1).

Tout se joue dans les détails

TROPOMI est-il le premier instrument satellitaire capable de déterminer la composition de l'atmosphère ? Pas du tout ! Mais les réalisations de TROPOMI sont remarquables grâce à sa sensibilité améliorée et à sa résolution spatiale accrue. La première caractéristique signifie que l'instrument peut détecter des sources de pollution plus faibles, qui étaient souvent négligées auparavant, mais qui sont très pertinentes dans l'étude de la qualité de l'air et du climat, en raison de leur grand nombre.

Lorsque l'on compare TROPOMI à ses prédécesseurs, l'amélioration de la résolution spatiale est particulièrement frappante. La taille du pixel observé à la surface peut être considérée comme la zone des plus petits détails que l’instrument soit capable de détecter. Cette caractéristique correspond aux pixels d'un appareil photo numérique. La taille des pixels au sol de TROPOMI est de 5,5 × 3,5 km2. Cela peut sembler large par rapport à ce que d'autres instruments réalisent, par exemple l’imageur Sentinel-2 qui lui est capable d’atteindre une résolution de 10 m, mais il faut se rappeler que la technique de mesure spectroscopique est très différente de l'observation directe d'objets au sol et que les progrès réalisés par rapport aux générations précédentes d'instruments sont assez spectaculaires (Figure 2).

ground pixels
Figure 2. Comparaison de la taille des pixels au sol de TROPOMI (lancement 2017) avec celle de ses prédécesseurs SCIAMACHY (2002), GOME-2 (2006, 2012 et 2018) et OMI (2004). En raison de la grande qualité des résultats, la taille du pixel de TROPOMI a encore été réduite à 5,5 x 3,5 km2 en 2019.

Une image…

Comme le dit le proverbe de Confucius : une image vaut mille mots. Cela vaut certainement pour les résultats obtenus avec TROPOMI. Dans cette section, nous présentons une sélection d’images illustrant la distribution observée de plusieurs gaz polluants importants, accompagnées d'une brève discussion concernant leur pertinence.

Cartes pluriannuelles

TROPOMI observe quotidiennement l'atmosphère dans son ensemble, mais il arrive que les molécules d'intérêt soient cachées par les nuages ou la poussière, ou que leur concentration soit trop faible pour être détectée. L'agrégation des mesures sur une période de temps plus longue permet de réduire l’impact des données de moindre qualité et de révéler une myriade de sources faibles qui, autrement, ne seraient pas détectées. La figure 3 montre des cartes globales de la distribution de différents gaz atmosphériques correspondant à une moyenne sur la durée actuelle de la mission TROPOMI (càd environ 3 ans). Ces cartes peuvent également être téléchargées en format PDF.

Figure 3. Cartes globales montrant les colonnes verticales de différents gaz à l'état de traces moyennées sur la durée actuelle de la mission TROPOMI. Cliquez sur l'icône "couches" pour basculer entre les différents gaz.

Pollution due à l'activité humaine

Les efforts internationaux visant à réduire l'impact de la consommation mondiale d'énergie et l'empreinte humaine ne cessent d’augmenter, mais pour l'instant, l'utilisation de combustibles fossiles non renouvelables continue malgré tout de s’accroître. La combustion du pétrole, du charbon et du gaz sont responsables de l'augmentation des niveaux de dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère, l'une des principales causes du réchauffement climatique. Les systèmes de chauffage ainsi que la production d'électricité et les moteurs utilisés pour le transport libèrent de grandes quantités de CO2 accompagnées d'autres espèces polluantes, tels que le dioxyde d'azote (NO2) et le dioxyde de soufre (SO2), tous deux également observés par TROPOMI.

En consultant la carte du NO2 (figure 3), on constate immédiatement que les quantités les plus élevées se situent dans des zones d'activité économique ou industrielle concentrée, comme l'est des États-Unis, le Moyen-Orient et l'Europe. Le NO2 est un gaz réactif qui participe à la création d'ozone et de particules fines (smog), et est connu comme étant un irritant pour le système respiratoire humain.

Comme mentionné précédemment, TROPOMI observe également le dioxyde de soufre, un autre polluant qui peut provoquer une irritation de la gorge et des poumons, en particulier pour ceux qui souffrent déjà de problèmes respiratoires. Environ deux tiers de la teneur en SO2 de l'atmosphère peuvent être attribués à l'activité humaine, le reste provenant du volcanisme.

En Europe, la concentration de SO2 (qui provoquait autrefois des pluies acides) a été considérablement réduite au cours des dernières décennies grâce à l'utilisation de combustibles de meilleure qualité et de systèmes de désulfuration dans l'industrie. Ce n'est cependant pas le cas dans d'autres régions du monde, où l'utilisation de combustibles fossiles contenant du soufre et la fonte des minerais sont souvent responsables d'une détérioration importante de la qualité de l'air. À ce titre, TROPOMI joue un rôle important dans la surveillance de l'évolution des émissions mondiales de SO2. La carte mondiale de SO2 de la figure 3, obtenue avec TROPOMI, montre clairement des quantités élevées de SO2 sur l'est de la Chine, l'Inde et le Moyen-Orient.

Une source anthropique de SO2 particulièrement intéressante se situe à proximité de la ville sibérienne de Norilsk, notoirement connue pour sa pollution due à l’exploitation industrielle et à la transformation du nickel et du palladium. Les processus de fusion produisent un flux constant de SO2 qui, dans les observations de TROPOMI, peut être suivi le long des rivières et des vallées voisines (Figure 4).

Norilsk
Figure 4. Signal de SO2 observé par TROPOMI aux alentours du site industriel de Norilsk en Sibérie. Les détails du panache de SO2 révèlent comment l'orographie locale guide la propagation du panache.

Tout est naturel, ou pas ?

La plupart des émissions de NO2 et SO2 dans l'atmosphère sont le résultat de l'activité humaine, mais pour d'autres espèces polluantes, la discrimination entre contributions naturelles et anthropiques peut être plus compliquée. Un bon exemple est celui de la famille des composés organiques volatils (COVs), molécules qui participent à des chaînes de réactions chimiques complexes affectant la qualité de l'air via la formation d'ozone troposphérique (O3) et de particules d'aérosol. Les COVs proviennent de l'industrie et du trafic, mais sont également produits dans les zones de végétation et par les feux de forêt. En raison de cette origine mixte, il est nécessaire de discriminer soigneusement les quantités d’origine naturelle et anthropique afin d'étudier leur impact sur la qualité de l'air et le climat.

Les COVs ne pouvant pas être mesurés directement par satellite, leur quantification s’effectue en mesurant des gaz comme le formaldéhyde (HCHO) ou le glyoxal (CHOCHO) qui sont tous deux des produits intermédiaires de la dégradation photochimique des COVs et peuvent être observés par TROPOMI. En moyenne, les molécules de HCHO et CHOCHO ne restent que quelques heures dans l'atmosphère avant d'être détruites (photo)chimiquement, ce qui signifie qu'elles ne sont généralement pas transportées loin de leur sources d'émission. Ce faible temps de vie facilite la discrimination entre les sources naturelles et humaines. Ces informations sont ensuite utilisées dans des modèles informatiques qui simulent la chimie et le transport atmosphériques et permettent d’améliorer notre connaissance de la formation de l'ozone et de ses effets sur le climat. Les cartes mondiales du formaldéhyde et du glyoxal de la figure 3 montrent que les sources naturelles proviennent de la végétation au-dessus de l'Afrique centrale et de la forêt amazonienne, tandis que les concentrations élevées en Asie de l'Est sont d'abord dues à la pollution industrielle.

Événements naturels

Les espèces chimiques présentes dans l'atmosphère peuvent constituer une menace directe pour l'environnement ou la vie humaine et animale en cas de catastrophes naturelles, telles que les incendies de forêt ou les éruptions volcaniques.

Incendies de fôret

Les incendies de forêt peuvent être responsables de l'émission de grandes quantités de formaldéhyde, de glyoxal et d'autres espèces en un temps relativement court. TROPOMI a observé des quantités sans précédent de HCHO et CHOCHO, émises lors des feux de brousse australiens de 2019-2020, puis plus tard lors des feux de forêt en Californie.

HCHO
Figure 5.1. Animation des panaches de formaldéhyde, émis lors des incendies de 2020 en Californie.

 

CHOCHO
Figure 5.2. Animation des panaches de glyoxal, émis lors des incendies de 2020 en Californie.

La surveillance de ce type d'événement est particulièrement importante car on peut s'attendre à ce que le nombre d'incendies et leur intensité augmentent dans les années à venir en raison du réchauffement climatique. Ces incendies à grande échelle peuvent avoir un impact critique sur la qualité de l'air, en particulier lorsque les particules et les gaz émis sont transportés par le vent sur de longues distances. À cet égard, les incendies de forêt australiens et californiens ont montré l’importance du transport à longue distance (1000 km et plus) du monoxyde de carbone (CO) et même d’espèces à temps de vie courts comme le formaldéhyde et de glyoxal. La présence de ces deux molécules à des distances aussi éloignées de la source suggère que d'autres espèces chimiques, responsables de leur création, sont également émises par les incendies et continuent à créer des quantités détectables de formaldéhyde et de glyoxal.

Comme le formaldéhyde et le glyoxal, le monoxyde de carbone possède des sources naturelles et anthropiques, son rôle de polluant étant plus évident dans les zones habitées (combustion de combustibles fossiles). Dans les environnements naturels, l'oxydation des hydrocarbures ou la combustion de la biomasse sont les sources les plus importantes. Mais contrairement au formaldéhyde et au glyoxal, le monoxyde de carbone a une durée de vie relativement longue (entre quelques semaines et plusieurs mois), ce qui en fait un traceur idéal des mécanismes de transport à longue distance. À titre d'exemple, la figure 6 montre le transport du CO à travers l’océan Pacifique suite aux feux de forêt australiens en 2019-2020.

CO australia
Figure 6. Panaches de CO provenant des incendies de forêt de 2019-2020 en Australie. Les quantités de CO émises en janvier 2020 et qui ont traversé l'océan Pacifique sont particulièrement remarquables.

L'une des découvertes les plus récentes, faite par les scientifiques de l’IASB grâce aux données TROPOMI, est la présence systématique d'acide nitreux (HONO) dans les panaches de feux de forêt. Ces travaux ont été décrits en détail dans un article de la prestigieuse revue Nature ("Globale nitrous acid emissions..."). L'intérêt de détecter le HONO réside dans le fait qu'il s'agit d'un précurseur du radical hydroxyle (OH) qui joue un rôle important dans la dégradation des gaz à effet de serre et la création du smog et de l'ozone. Pour une connaissance détaillée de la chimie impliquée, il est donc important de déterminer avec précision les quantités de HONO libérées dans l'atmosphère. Des observations fiables pour ce faire manquaient toutefois jusqu'à présent. En coopération avec l'Université du Colorado, les chercheurs ont découvert que, dans une variété d'écosystèmes, les panaches d'incendies de forêt présentent des quantités importantes de HONO, surtout à proximité de la source des feux (Figure 7).

HONO
Figure 7. Quantités élevées d'acide nitreux détectées par TROPOMI dans les panaches de feux de forêt australiens le 4 janvier 2020.

Éruptions volcaniques

Les éruptions volcaniques constituent un autre type d'événement naturel potentiellement dévastateur pour l’environnement. Les éruptions puissantes ne constituent pas seulement une menace pour l'environnement immédiat, mais les nuages de cendres et de SO2 émis peuvent nuire au trafic aérien et à la santé des passagers, même à longue distance. La résolution spatiale améliorée de TROPOMI permet une caractérisation précoce des éruptions et une surveillance plus fiable du transport des nuages de SO2 (Figure 8). L'instrument a donc été rapidement intégré dans le service SACS, une plateforme exploitée à l'IASB qui fournit des informations sur les éruptions volcaniques à partir de diverses plateformes satellitaires, et émet des alertes aux centres d'avis de cendres volcaniques en soutien du contrôle aérien international.

Volcanism
Figure 8. Panaches de SO2 volcanique émis lors de l'éruption hawaïenne du Kilauea (6 mai 2018 ; à gauche), ainsi que par le volcan Etna (26 décembre 2018 ; à droite).

Climat

Lorsqu'on invoque les mécanismes à l'origine des changements climatiques dans le monde, l'accent est souvent mis sur les émissions anthropiques de dioxyde de carbone (CO2). Pourtant, il existe d'autres gaz à effet de serre qui méritent d’être étudiés minutieusement, comme le méthane (CH4). Le nombre de molécules de méthane dans l'atmosphère est bien moindre que celui du dioxyde de carbone. Cependant, les molécules de méthane ont une capacité bien plus grande à réchauffer l'atmosphère, et leur incorporation dans les études climatiques est donc très pertinente. L'augmentation de la concentration de méthane dans l'atmosphère au fil des ans n'a pas toujours été régulière, et il reste encore beaucoup à comprendre sur sa création et sa destruction. TROPOMI est le premier instrument à cartographier quotidiennement la teneur globale en méthane à haute résolution. L’IASB joue un rôle important dans la validation de ces mesures et s'assure que les incertitudes sont suffisamment faibles pour permettre leur utilisation dans des études climatiques. La distribution globale du méthane, telle qu’établie par TROPOMI, est illustrée dans la figure 3.

tropo ozone
Figure 9. Des quantités élevées d'ozone troposphérique au-dessus de l'Atlantique, en raison
de la combustion de biomasse en Afrique et en Amérique du Sud.

L'ozone (O3) présent dans la stratosphère au-dessus de 10 km d’altitude, , nous protège contre les rayons ultraviolets nocifs du soleil. Plus près du sol, il agit à la fois comme un polluant et un gaz à effet de serre. Pour bien comprendre le rôle de cet ozone troposphérique, il faut en déterminer la quantité avec une grande précision, ce qui n'est pas facile à faire depuis l'espace en raison de l'interférence de la colonne stratosphérique, beaucoup plus importante. Les scientifiques de l’IASB ont soigneusement analysé les détections d'ozone troposphérique de TROPOMI dans les tropiques, et ont comparé les résultats avec ceux d'autres instruments tels que ceux obtenus in situ avec des ballons. De ce fait, TROPOMI s'avère être une avancée importante dans la caractérisation de l'O3 troposphérique, révélant clairement l'impact, par exemple, des feux de forêt et de divers phénomènes météorologiques.

Outre l'ozone troposphérique, les observations réalisées avec TROPOMI sont également très pertinentes pour la surveillance de la colonne d'ozone verticale totale. L'ozone a un lien avec le climat, car il absorbe le rayonnement du soleil (stratosphère) et de la surface de la Terre (troposphère). Cet effet de l'altitude sur le climat fait de la surveillance de la couche d’ozone stratosphérique une activité essentielle dans l'étude du climat et d'autres phénomènes atmosphériques, tels que le trou d'ozone en Antarctique. Les séries chronologiques TROPOMI sur l'ozone total sont un élément important des données climatiques fournies par des projets tels que le Climate Change Initiative (CCI) de l'ESA et le Copernicus Climate Change Service (C3S).

Toute la vérité, rien que la vérité

Idéalement, les mesures fournies par TROPOMI devraient refléter les quantités présentes dans l’atmosphère au moment de l’observation. Cependant malgré les nombreuses années consacrées à la préparation de la mission, les performances d’un nouvel instrument satellitaire ne se révèlent pleinement qu'après le lancement. Les incertitudes de mesure peuvent varier en fonction de nombreux paramètres et sont généralement dues à un mélange de caractéristiques instrumentales, de circonstances de vol et d'approximations dans les logiciels de restitution appliqués. Pour l'étude de la qualité de l'air et du climat, les exigences en matière de qualité des mesures sont élevées et les incertitudes doivent être soigneusement surveillées, analysées et comprises. Dans le cadre du Centre de performance de la mission Sentinel-5p de l'ESA/Copernicus, les mesures de gaz en traces effectuées par TROPOMI sont contrôlées de manière automatisée par un système de validation (VDAF) exploitée à l’IASB, en collaboration avec des partenaires européens. En outre, de vastes campagnes de validation sont régulièrement organisées, au cours desquelles les mesures TROPOMI sont comparées à celles d’instruments de référence déployés au sol ou en avion. L’IASB contribue également à l’établissement de systèmes d’observation fournissant des données de référence fiables à partir de stations distribuées stratégiquement dans le monde (FRM4DOAS, FRM4GHG). Adaptées aux besoins spécifiques de la validation des satellites, ces mesures dites « fiducielles» (Fiducial Reference Measurements, ou FRM) doivent être considérées comme la source de référence la plus fiable et seront également utilisées pour la validation des données des futures missions Sentinel-4, Sentinel-5 et CO2M.

Figure 10. L’accord entre les mesures d’ozone de TROPOMI et les données de référence enregistrées à l'île de Kerguelen est excellent, comme le révèlent les comparaisons automatisées effectuées par le VDAF (Validation Data Analysis Facility).

Passer à l’étape suivante

Comme décrit précédemment, TROPOMI peut observer la distribution des gaz en traces dans ses moindres détails, jusqu'à une échelle de 5,5 × 3,5 km2.  Bien qu'il s'agisse d'un énorme progrès par rapport aux capteurs satellitaires précédents, cela signifie que le satellite reste incapable d’évaluer le degré de pollution à l'échelle des quartiers ou des rues. En outre, TROPOMI n'observe la plupart des régions de notre planète qu'une fois par jour, à la même heure locale. Cela signifie qu'aucune information n'est obtenue sur la variation quotidienne de la concentration des espèces polluantes.

Une piste pour améliorer la surveillance de la pollution serait de combiner les résultats de plusieurs satellites. Parmi ceux-ci, on trouve des plateformes en orbite polaire comme S-5P et le futur Sentinel-5, mais aussi en orbite géostationnaire comme Sentinel-4. Ce dernier instrument aura une vue fixe sur l'Europe, ce qui présente l'avantage d'échantillonner la composition de l'atmosphère tout au long de la journée. L'objectif final est d'améliorer la résolution spatiale et temporelle de manière à pouvoir surveiller, par exemple, la pollution des zones de faible émission dans les régions urbaines. La réalisation de cet objectif nécessitera le développement et le lancement de nouveaux instruments satellitaires à résolution encore plus élevée que celle de TROPOMI. Cependant, avec le soutien de la Politique scientifique fédérale (BELSPO), et en coopération avec la Cellule Interrégionale de l'Environnement (CELINE), les scientifiques de l’IASB ont déjà entrepris une première étape dans ce processus en essayant d'améliorer la résolution spatiale des cartes de dioxyde d'azote existantes. Cela peut être fait en collectant les données TROPOMI sur des périodes plus longues (de quelques semaines à plusieurs mois) et en prenant soin d’inclure des informations supplémentaires, comme la qualité de chaque mesure, ainsi que la direction et la vitesse du vent local pendant les observations. La figure 11 montre un exemple de résultats obtenu avec cette approche pour Bruxelles. Comme on peut le voir, la carte à haute résolution qui en résulte fournit beaucoup plus d'informations sur la distribution intra-urbaine du NO2 que les mesures individuelles de TROPOMI.

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Figure 11. En haut : une carte journalière standard de la distribution du NO2 pour une date spécifique (un seul passage du satellite) ; en bas : une carte obtenue sur la même région (Bruxelles) à la résolution spatiale améliorée de 1×1 km2. Les résultats de la carte à haute résolution ont été obtenus en combinant les informations provenant de trois mois de mesures TROPOMI de NO2 et en tenant compte des informations météorologiques locales.

Mais on peut également s'attendre à de nouvelles améliorations de la résolution spatiale au niveau des satellites, grâce aux futures générations d'instruments. Des résolutions de 1×1 km2 ont déjà été démontrées et des propositions existent pour des échelles de 500 × 500 m2 et même encore plus fines. La petite taille des pixels au sol implique qu'une couverture mondiale quotidienne n'est pas réalisable, mais ces instruments voleront probablement sur de petits satellites ou des pseudo-satellites à haute altitude, càd des avions ou des ballons sans pilote qui naviguent à plus de 20 km d'altitude pendant des mois, voire des années consécutives.  Ils fonctionneront à l'appui de missions globales comme Sentinel-5 et zoomeront sur les sources d'émission présentant un grand intérêt.

Cependant même avec une résolution améliorée, les résultats de TROPOMI et de ces futurs senseurs à haute résolution ne fourniront toujours pas une information totalement pertinente pour évaluer la qualité de l'air au sol. En effet, les mesures satellitaires rapportent la colonne verticale totale de gaz au-dessus d'un certain endroit, plutôt que la concentration des polluants à la surface de la Terre, là où se déroule la vie humaine et animale. Estimer la concentration de surface à partir d’une mesure de colonne totale n'est pas simple, car la distribution verticale des espèces mesurées n'est généralement pas connue. Dans les prochaines années, les scientifiques de l’IASB continueront à travailler sur ce sujet. En utilisant des modèles informatiques avancés qui décrivent la chimie atmosphérique locale, et en appliquant des techniques d’intelligence artificielle, ils ambitionnent d’établir une relation fiable entre la colonne verticale et la concentration à la surface.

Des améliorations sont également attendues dans les techniques de restitution de la colonne verticale des gaz en traces à partir des données spectrales de TROPOMI. Disposer d'un capteur satellitaire plus sensible signifie non seulement que des sources plus faibles peuvent être détectées, mais aussi que les limites des logiciels de restitution utilisés deviennent plus visibles. En vérité, cela peut être considéré comme un avantage car cela permet aux scientifiques de poursuivre leurs recherches et d'améliorer leurs techniques. Les résultats de TROPOMI ont montré que la technique DOAS, atteint ses limites lorsqu'il s'agit de mesurer des gaz en traces absorbant peu la lumière du soleil et donc difficiles à détecter. Les petites imperfections de l’instrument TROPOMI et celles liées à notre connaissance imparfaite des processus atmosphériques produisent alors des cartes « bruitées », par exemple dans le cas du formaldéhyde (HCHO) ou des faibles sources de dioxyde de soufre. Des recherches récentes à notre institut ont conduit au développement d’une méthode alternative qui fournit des cartes beaucoup plus « propres » et permet de détecter des sources encore plus faibles. Cette méthode sera encore affinée dans les années à venir.

Tous les nouveaux développements scientifiques basés sur les données TROPOMI ne seront pas disponibles via les canaux de distribution officiels de Copernicus, par exemple parce qu'un produit similaire existe déjà ou parce que le nouveau produit n'est pertinent que pour une communauté d'utilisateurs locale spécifique. En raison de ce dernier aspect, il existe ce que l'on appelle le Copernicus Collaborative Ground Segment, qui vise à fournir des produits de données satellitaires qui répondent aux besoins des utilisateurs locaux.

Pour la Belgique, ce système s'appelle Terrascope et est hébergé par le VITO. L’IASB a récemment contribué à Terrascope en fournissant des données globales pour les produits TROPOMI de colonnes verticales de dioxyde d'azote et de monoxyde de carbone, qui peuvent être consultées via le « Terrascope viewer ». D'autres contributions S5-P/TROPOMI du BIRA-IASB à Terrascope sont attendues dans les années à venir.

Cartes S-5P/TROPOMI téléchargeables

Sur base des résultats de TROPOMI, les scientifiques de l'IASB ont produit des cartes en couleur et à haute résolution de certaines de leurs espèces de gaz à l'état de traces préférées. Elles peuvent être téléchargées gratuitement ici.

Contact

Dr. Michel Van Roozendael
Email: michel(dot)vanroozendael(at)aeronomie(dot)be
Responsable département scientifique "Gaz atmosphériques réactifs" et chef de service "Observations dans l'UV-visible" de l'IASB

Références

  • Programme Copernicus
  • Theys, N., R. Volkamer, J.-F. Müller, K. J. Zarzana, N. Kille, L. Clarisse, I. De Smedt, C. Lerot, H. Finkenzeller, F. Hendrick, T. K. Koenig, C. F. Lee, C. Knote, H. Yu, and M. Van Roozendael: Global nitrous acid emissions and regional oxidants levels enhanced by wildfires, Nat. Geosci., (2020) - www.nature.com/articles/s41561-020-0637-7
  • Hubert, D., Heue, K.-P., Lambert, J.-C., Verhoelst, T., Allaart, M., Compernolle, S., Cullis, P. D., Dehn, A., Félix, C., Johnson, B. J., Keppens, A., Kollonige, D. E., Lerot, C., Loyola, D., Maata, M., Mitro, S., Mohamad, M., Piters, A., Romahn, F., Selkirk, H. B., da Silva, F. R., Stauffer, R. M., Thompson, A. M., Veefkind, J. P., Vömel, H., Witte, J. C., and Zehner, C.: TROPOMI tropospheric ozone column data: Geophysical assessment and comparison to ozonesondes, GOME-2B and OMI, Atmos. Meas. Tech. Discuss., https://doi.org/10.5194/amt-2020-123, 2020.

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TROPOMI mesure une série d'espèces chimiques cruciales pour le climat et d'autres processus atmosphériques, sur l'ensemble du globe toutes les 24 heures, à une échelle de détail sans précédent.
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Maquette du satellite Sentinel-5P à l'IASB.